"Octobre rose"... Pour toi et moi, ce n'est ni un mois particulier dans le calendrier, ni une célébration, ni une généralité. Encore moins une couleur ou un ruban. Même si par nature on garde force et sourire et qu'on est inéluctablement solidaires, en réalité, en étant honnêtes, aucune mobilisation n'est finalement à la hauteur de la souffrance et des chamboulements de vie qu'engrange le cancer. Si on a de la "chance" (toute relative), on en guérit. Mais à quel prix, au propre, comme au figuré ?
Rien n'est binaire en ce bas monde, tout est nuance. Absolument rien ni personne n'est comparable tellement il y a de paramètres à observer. Forcément qu'à l'annonce d'une pathologie lourde, on réalise assez vite que notre choix est limité : soit on se bat, soit on abandonne, le quotidien se jouant désormais sur un ring. Tout va dépendre et reposer sur le caractère de la personne, sur ses motivations et sur son entourage. Ta vie à toi était en sursis depuis plus de 30 ans. Depuis ta naissance en vérité, mais tu as su batailler pour te faire ta place là où on ne voulait pas de toi.
En ce moment, les jours se suivent. Et ne se ressemblent pas. Ma routine a changé. En fonction de la tienne. Mais de nous deux, c'est évidemment toi qui as trinqué le plus. Ces derniers mois, tu te faisais quelques fois désormais silencieuse...jusqu'à en être désarmant pour moi tellement j'en ai peu l'habitude ; tu observais tout ce qui se passait autour de toi, enfermée dans une sorte d'incapacité à en faire davantage et dans une nécessité de lâcher prise. Et puis d'autres fois tout était "comme avant" ou presque : tu parlais beaucoup, à tel point que personne ne pouvait en placer une, tu t'agitais partout comme une puce et tu faisais comme si rien n'avait changé. Et pourtant...
"L'enveloppe corporelle n'est pas qu'une silhouette, c'est notre domicile mobile". Hanluo Taihan
Pourtant, ton coeur était à bout de souffle. Ton corps dégustait, et tu souffrais. En silence. De ta bouche, tout ce qui découlait de tes cancers était autrement plus difficile que les chimio. C'est peu dire...Ton esprit avait 66 ans, ton corps 86 et ton âme 26.
Depuis que j'ai 15 ans, sans réellement réaliser que la vie puisse s'arrêter du jour au lendemain, j'ai, de manière complètement insouciante, cette conscience de croquer la vie à pleine dents. Car c'est l'âge que j'avais, toi 35, quand tu as eu ton premier cancer. Au sein gauche. Comme ta mère avant toi et comme tes soeurs après toi. Un 2ème s’en est suivi, sur le foie. Sans répit.Tes médecins disent de toi aujourd'hui que tu es une miraculée. De fait.
Tu as toujours continué à travailler malgré tes traitements de choc, rayons x, chimio, et puissants médicaments, que tu as pu supporter parce que tu étais jeune, robuste et pourvue d'un mental et d'une volonté de vivre peu communs.
"Le courage n'est pas l'absence de peur, mais la capacité de la vaincre". Nelson Mandela
Il y a une dizaine d'années, tu es tombée bêtement sur ton poignet gauche, sans penser une seule seconde à tes artères brulées, séquelles de combats que tu as vaincu. Mais gagne-ton vraiment contre le cancer ? Il y a pour sûr un avant et un après. Les spécialistes nous disent au départ que la plupart des cancers se guérissent, et dans les meilleures conditions possibles au fil de l'évolution et du temps. Ils insistent sur le fait qu'au plus jeune on est et qu'au plus tôt c'est pris en charge, au mieux c'est pour le corps. Déontologiquement, ils ne peuvent pas faire autrement que de donner au patient un tas de bonnes raisons pour se battre. De façon intéressée, une femme active de 35 ans a tout intérêt à se battre. Pour elle. Pour ses enfants. Pour sa famille. Pour son job. Pour la société. Une femme de 35 ans rapporte. C'est cruel. La pensée est cruelle. La société est cruelle. Et réelle. Tant qu'on est en bonne santé, on rapporte. Après ? C'est une toute autre histoire. Qu'on parle de médecine à 2 vitesses, de services qui laissent à désirer, du fait d'être cobaye de la science et de ses conséquences...Le résultat est le même : oui, le cancer se soigne. Mais dans quelles conditions de vie, que ça passe par le poignet, le bras, l'épaule, les poumons, les hanches, l'estomac, le foie, le dos et le cœur, car absolument chaque partie du corps est tôt ou tard impactée...?
J'assiste de plus en plus, inconvénient de l'âge, à la perte des parents de mes collègues, connaissances et amis. A l'enterrement de l'un d'eux, et ce n'était "que" mon 2ème ou 3ème, à peine rentrées de nos vacances ensemble (ces tropéziennes sous un ciel azur au petit-déjeuner et ce cocktail aux pieds des vagues méditerranéennes, quel délice !), j'ai réalisé que j'avais énormément de chance. Que tu sois encore là, près de moi, il y a encore moins d'un mois. Qu'on se soit toujours tout dit. Qu'on se soit assez engueulées. Qu'on n'ait gardé aucune colères ni aucune rancunes. Qu'on ait pris nos distances, puis qu'on se soit rapprochées. Qu'on ait fini par se comprendre, mutuellement. Il n'y a qu'avec le recul nécessaire et l'expérience qu'on sait qu'il est sain de passer par un certain nombre d'étapes pour être en paix. Avec soi-même d'abord. Puis avec sa famille, son environnement et son entourage. Je me suis également rendue compte que j'ai hérité de ta force. De ton orgueil. De ta fierté. De ta dignité. Finalement, être digne n'est pas donné à tout le monde. Etre humble non plus.
"Celui qui sait vaincre n'entreprend pas la guerre".
Quand j'ai écrit ces lignes, tu venais de sortir de l'hôpital, après ton 2ème œdème cardiaque en 4 ans. Parfois interrompue de petits sanglots que je ravale aussitôt, en me disant que je voulais continuer de profiter de chaque moment avec toi, comme je l'ai toujours fait, car quand une famille doit faire face très tôt et successivement à deux cancers et ses conséquences, on sait la valeur de la vie. Bon, parfois on se laisse encore un peu manger par des broutilles (nous ne sommes que des êtres humains après tout !) : le manque d'argent, le manque de temps, le manque d'entourage fiable parfois. La question est délicate. On vit pourtant avec le crabe régulièrement via différents médias et événements, mais tant qu’on ne l’a pas vécu de près, on ne sait pas vraiment ce que c’est. Pire, on en a peur. Et on fuit. Bêtement.
Hier encore, poids plume avec un corps atrophié, brûlé par les rayons, mangé par les produits et les médicaments (qui détruisent autant les mauvaises cellules que les bonnes), sans plus aucune sensations du côté du bras gauche, à partir de l’épaule et jusqu’aux bouts des doigts, quelques petits et gros bobos irréversibles, tu étais la preuve bien vivante d’une belle et vaillante âme.
Impuissante face à cette dégénérescence insidieuse à tous les niveaux, j’ai décidé de devenir bénévole au service de la lutte contre le cancer et du bien-être des battants via le Comité du Relais pour la Vie Bruxelles-ULB il y a quelques années, entre deux jobs. Avant de réaliser qu'il faut trouver un équilibre entre les différentes étiquettes : ce n'est pas parce qu'on a eu le cancer qu'on ne doit fréquenter que des malades et ce milieu, mais ce n'est pas non plus une raison pour tout rejeter en bloc et faire l'autruche.
"Nous ne pourrons vaincre aucune des maladies infectieuses qui affligent les pays en développement tant que nous n'aurons pas gagné la bataille pour l'eau potable, l'assainissement et les soins de santé de base". Kofi Annan
La vie ne t'a pas gâtée avec une mère dénaturée, amère de ne pas vivre avec son grand amour, et un père, amoureux de la mauvaise personne, noyant son chagrin dans les petites et grandes bêtises et dans l'alcool. Petite, tu as dû aller en sanatorium à cause de la tuberculose, ce qui t'a donné cette rage de vivre, puis tu as commencé à subir les conséquences des effets secondaires des traitements après une trêve toute relative : cicatrices apparentes et psychologiques, foie émacié, mariage brisé, famille éclatée,...
Tu es un exemple. Tu es mon exemple. Mon inspiration. Merci. Merci maman. Merci d'avoir été tout ce que tu as été, bon gré, mal gré. Merci d'avoir transmis tout ce que tu as transmis. Même si ça ne me rend pas la tâche facile tous les jours, merci d'avoir été toi et de continuer à l'être, jusqu'aux bouts des ongles.
Aujourd'hui, tu es partie..."Enfin calmée" ? Je l'espère de tout mon coeur...
Une maman c'est tellement de jolies choses. C'est cette femme qui sourit en permanence juste pour voir son enfant heureux. C'est celle qui voue sa vie à sa famille. C'est aussi la femme qui encaisse et qui esquive. Une maman ne dort jamais tout à fait ; elle est liée au sommeil de son enfant. Une maman sait tout faire et sait tout réparer. On est si petit, le monde est si grand...Que serait la vie, sans notre maman. Maman est un mot magique.
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