Le deuil…
Beaucoup ont déjà vécu ça…Pas moi. Le deuil d'une relation, amoureuse, amicale ou professionnelle, oui. Fermer une porte après l'avoir laissée entrouverte à plusieurs reprises, je ne l'ai pas fait tant de fois, mais ça m'est arrivé quelques fois, oui. Ce n'est jamais de gaieté de cœur, mais à un moment donné, c'est soit l'autre, soit nous. Et parfois, pour garder une bonne santé mentale, on se doit d'être égoïste. Ça ne rend pas pour autant la tâche plus facile. Mais elle est nécessaire.
La mort physique, c'est autre chose. C'est définitif. Il n'y a pas de retour en arrière possible. Jusque-là, prônant la vie, je la fuyais, la grande faucheuse. Je n'y pensais même jamais. Vraiment. Ni la mienne, ni celle de mes proches. Mon cercle d'intimes est plutôt restreint. Par choix. Mon cœur n'est pas un moulin dans lequel on rentre et on sort au gré du vent. J'ai toujours hiérarchisé mes relations : il y a les voisins, les connaissances, les collègues, les potes de sortie, les amis et la famille. Sociable, curieuse et humaniste, je vais très facilement vers l'autre, tout en ne dévoilant que ce que je veux bien. De la même façon, je respecte l'autre sans trop poser de questions, je le laisse venir à moi. Ça ouvre souvent la porte aux fantasmes, aux extrapolations et aux ragots, mais ça m'est bien égal, c'est les autres que ça regarde ou dérange, pas moi. Du coup pour moi, c'est tout en extrême, même si je fais tout ce que je peux pour tendre vers un certain équilibre : soit les choses et les gens sont sans importance pour moi, soit ils tiennent une place de choix dans mon cœur…sans avoir besoin de le crier sur tous les toits. Je cultive mon cercle avec pudeur et préciosité, ce qui rendrait leur perte sans doute considérable le jour où ça arrive...Mais ici c'est mon refuge, mon exutoire, mon pilier que j'ai perdu...Mon exemple, mon point de repère. Ma confidente. On pense avoir coupé le cordon plus jeune, on pense avoir pris de la distance au gré des divergences, mais on se rend compte que non, pas tout à fait en fin de comptes. On se sent orphelin du jour au lendemain. Vulnérable. On n'est jamais suffisamment préparé. Et tant mieux, ce serait tout de même un peu glauque.
"Ecrire, c’est une façon de parler sans être interrompu." Jules Renard
En réalité, c'est maintenant, presque 4 mois après, par épisodes, que je ressens le plus l'indicible…
Chaque image de ces 6-8 derniers mois m'est balancée avec violence en plein visage quasi chaque nuit sans crier gare…
Toutes ces scènes me semblent tellement irréelles…alors qu'elles font désormais partie de mon histoire…
La mort d'Alain fin 2022, ton 1er grand amour dont je suis issue, Éric, gravement malade, à Noël chez moi, puis un mois plus tard retrouvé sans vie, baignant dans son sang, seul chez lui, moi hurlant, te prenant dans mes bras pour te protéger de je ne sais quoi...L'appel aux urgences, les réponses aux questions auxquelles on n'est pas préparés à répondre, ne rien toucher, rester debout, se calmer, penser pratique, encaisser…
Rien n'était pareil, tout était différent, depuis quelques temps. J'ai l'impression que tout ça s'est fait lentement, mais je réalise que je n'ai pas vu passer ces 5-6 dernières années. Ta santé était très loin d'être excellente depuis un certain temps, mais quand je t'ai vue descendre du train en 2018, gonflée de partout, les larmes aux yeux, à bout de souffle…j'ai mis des mois pour sortir de ma torpeur…
Ta dernière douche, ton dernier shampoing, ton dernier dîner, notre dernier câlin, nos derniers mots...sans le savoir...Puis quand tu es tombée plusieurs fois de suite...Ce trajet interminable en ambulance...Tes mains qui ne savaient plus rien attraper, ton corps lâchait…Et tu ne luttais plus...Oui, tu n'avais que 66 ans...mais le corps, et surtout le cœur d'une dame en fin de course...sans jamais avoir démérité.
Aujourd’hui, je commence à réellement mesurer ce qu'a dû produire chez toi le décès d'Eric dans les circonstances dans lesquelles on l'a trouvé…ces images, d’abord occultées par la force des choses à assumer, me reviennent comme un boomerang...Quels effets désastreux ont-ils dû avoir sur toi…
Je ne sais pas dans quel phase du deuil je me trouve…tout se mélange depuis ton départ et je n'ai jamais rien fait dans l'ordre dans ma vie, il n'y a aucune raison pour que cela change...
Je n'ai pas vécu la sidération décrite un peu partout, encore moins la colère ou la dépression…En 2018, lorsqu'il a fallu que ma maman mette un pacemaker, on lui a dit que son cœur pouvait s'arrêter à n'importe quel moment, dès lors que le pacemaker ne pouvait plus prendre le relais, le cœur étant trop faible. Elle ne souffrirait pas. C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que ma maman n'était pas éternelle. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à me sentir dans un état second, comme en apesanteur, entre la terre ferme et un monde que je ne connaissais pas. Je pouvais rester des heures assise dans le silence et dans la même position, le regard dans le vide. En parallèle, c'est aussi à ce moment-là qu'on ma enlevé la vésicule et que Max commençait à s'affirmer. A se révolter. La sidération, puis la colère, la guerre et la violence, c'est à ce moment-là que je l'ai vécu. Depuis, je m'y attendais, sans vraiment avoir réalisé l'impact de sa perte sur mon quotidien. Sur moi. Sur Max. Sur tous ceux qui restent. C'est ce qui est le plus difficile à accepter, si j'y arrive un jour. Tout ce qui a été mis sur le côté parce qu'il fallait assurer, rejaillit, de manière très insidieuse et très intense, que je le veuille ou non. Une tristesse infinie s'est installée. Je suis entourée. Je travaille. Je voyage. Je sors. Je bouge. Je nettoie. Je cuisine. J'écoute de la musique. Je prends de longues douches. Je regarde Netflix. Je marche. Je m'évade.
Perdre une maman, je le sais maintenant, est un cataclysme sans précédent.
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