Un an déjà la semaine prochaine...Il est des "anniversaires" dont on se passerait bien...Je me suis promise de ne pas systématiquement bêtement tomber dans le "pathos" chaque année à la même date...D'où ce texte en décalé. Hors de question pour moi de cultiver ce je ne sais quoi qui ne me correspondrait pas et surtout qui ne te ferait pas honneur, mais quelque chose d'inconnu pour moi jusque-là s'est imprégné dans mon corps, je n'y peux pas grand chose. Dans mon esprit un anniversaire est festif, au-delà de la commémoration. Mais je ne sais pas bien si ce mot convient à toutes les situations...Evidemment, on peut se dire que tu fêtes bien la vie d'après, là haut. Je peux aisément, si je ferme les yeux, t'imaginer danser avec Cloclo et Johnny. Avec É. aussi...
"Être fidèle à ceux qui sont morts
Ce n’est pas s’enfermer dans la douleur.
Il faut continuer de creuser son sillon, droit et profond.
Comme ils l’auraient fait eux-mêmes.
Comme on l’aurait fait avec eux, pour eux.
Être fidèle à ceux qui sont morts, c’est vivre comme ils auraient vécu.
Et les faire vivre avec nous.
Et transmettre leur visage, leur voix, leur message, aux autres.
À un fils, à un frère, ou à des inconnus, aux autres, quels qu’ils soient.
Et la vie tronquée des disparus, alors, germera sans fin."
Martin Gray
Il m'aura bien fallu cette année pour digérer ton départ. Si seulement je l'ai digéré. Tout ce temps pour canaliser la douleur de ta perte. Pour comprendre. Comprendre ta propre douleur. Face aux effets secondaires des traitements contre tes 2 cancers, pourtant derrière toi depuis plus de 20 ans. Face à la perte de ton compagnon de route, survenue 2 mois plus tôt dans des circonstances atroces. Certaines images sont encore très présentes dans ma tête, j'imagine à peine la douleur que ça a été pour toi de le découvrir inanimé, baignant dans son sang. Quelques mois plus tôt encore, tu perdais ton 1er amour, mon vrai père.
Ça a fait beaucoup. Beaucoup trop. En très très peu de temps.
Tout se passe ainsi dans cette famille : rien n'est jamais vraiment grave, jusqu'au jour où tout arrive tel un ouragan qui broie tout sur son passage.
"Nous voici aujourd’hui au bord du vide
Puisque nous cherchons partout le visage que nous avons perdu.
Il était notre avenir et nous avons perdu notre avenir,
Il était des nôtres et nous avons perdu cette part de nous-mêmes,
Il nous questionnait et nous avons perdu sa question.
Nous voici seuls, nos lèvres serrées sur nos pourquoi,
Nous sommes venus ici chercher, chercher quelque chose ou quelqu’un,
Chercher cet amour plus fort que la mort."
Paul Éluard
J'ai aussi compris que tu étais consciente que c'était la fin. Par des petites choses que je ne voulais évidemment pas voir alors, comme quand tu me parlais de la paperasse administrative à faire suivre. Au cas où. Ou quand tu voulais rester plus longtemps sous la douche bien chaude, moi te lavant les cheveux. Te couper la frange n'a pas été une mince affaire, mais prendre soin de toi, j'essayais au mieux de le faire. Les rôles étaient inversés depuis quelques années, ça te faisait bien sourire, tout en gardant hautement ta dignité.
Souvent, je me sens vide. Plus personne ni plus rien ne m'intéresse. Le lendemain je vais te parler, le surlendemain danser dans le salon et 3 jours après être heureuse des rayons de soleil qui inondent l'appartement. La vie continue. Oui. Mais non. Plus rien n'est pareil. Tu es partie en prenant quelque chose de moi avec toi que je serais bien incapable de définir. Une maman donne la vie. Qu'est-ce qui est plus fort que ça ici bas ?
Puis j'ai compris et je saisis au jour le jour la portée de certains actes ou de certaines paroles qu'on a échangés toutes les deux durant ces 10-15 dernières années. C'est fou. Il suffit d'une pochette de disque vinyle, d'une carte de voeux, d'une photo ou d'un message laissé ici et là pour me rappeler le contexte et enfin, capturer toute l'importance de ces petites attentions semées très consciemment au fil du temps.
"Ne pleurez pas si vous m’aimez,
Je suis seulement passée dans la pièce à côté.
Je suis moi, vous êtes vous.
Ce que nous étions les uns pour les autres, nous le sommes toujours.
Donnez-moi le nom que vous m’avez toujours donné,
Parlez-moi comme vous l’avez toujours fait.
N’employez pas un ton différent, ne prenez pas un air solennel et triste.
Continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble.
Priez, souriez, pensez à moi, priez pour moi.
Que mon nom soit prononcé comme il l’a toujours été,
Sans emphase d’aucune sorte, sans une trace d’ombre.
La vie signifie tout ce qu’elle a toujours signifié.
Elle est ce qu’elle a toujours été.
Le fil n’est pas coupé.
Pourquoi serais-je hors de votre pensée simplement parce que je suis hors de votre vue ?
Je vous attends. Je ne suis pas loin,
Juste de l’autre côté du chemin.
Vous voyez, tout est bien.
Essuyez vos larmes."
Henri Scott Holland
Les larmes coulent encore parfois, maman. Mais je sais que :
"Il restera de toi ce que tu as offert
Entre les bras ouverts un matin au soleil."
Simone Weil
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